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Éléments pour la prière personnelle

Cours de Père Jean-Louis Guillaud
ce cours est au programme de la 2ème année de licence par correspondance.

Père Jean-Louis Guillaud


Éléments pour la prière personnelle (extrait)



Les étapes de la prière


Dans son cours Technique de la Prière professé à l’Institut Saint-Denys durant l’année 1958-1959, Monseigneur Jean cite les 3 étapes traditionnelles que l’on retrouve chez les Pères pour aboutir à la prière perpétuelle.

Il les définit ainsi :

  • la période mécanique
  • la période mentale
  • la période cordiale

1.La période mécanique


Durant cette période, celui qui prie s’applique seulement à prononcer la prière régulièrement, sans que l’esprit fixe les paroles. Appliquée à la prière du nom de Jésus, on la répètera par exemple 100 fois tous les matins ou encore l’on priera pendant 20 minutes la nuit à 1 heure du matin. L’important ici est de s’imposer une règle sagement mesurée et de ne pas manquer à la décision prise. Une telle pratique amène une certaine pacification, même si l’esprit continue à vagabonder.


On peut se poser la question de l’utilité ou de la valeur d’une telle prière.


Pour certains Pères, ce n’est pas une prière ou plutôt ce n’est pas la prière. C’est le sens de ce que dit Théophane le Reclus : « Il arrive, à cause de notre négligence, que notre langue récite les paroles saintes de la prière, tandis que notre esprit vagabonde ailleurs…la prière est seulement vocale et ce n’est pas une prière du tout. »


Cette étape « mécanique » reste extérieure à la conscience sans transformer l’homme intérieur : l’attention nous échappe, le cœur ne sent rien et n’a aucun désir de prier . Pourtant cette étape « mécanique » a des qualités : une valeur morale (la bonne volonté de prier) et une valeur divine (l’influence puissante et objective des paroles sacrées et des Noms divins qui sont prononcées).

Un ermite interrogeait un jour Antoine le Grand : « Quand je n’ai pas l’intelligence des prières que je récite, sont-elles pour autant sans effet ? » «Non, mon enfant, [elles ne sont pas sans effet], Dieu les entend et Il vient à toi ; le démon les entend et il s’enfuit. »


Vous savez sûrement que vers les années 1920-1930 le pouvoir communiste a voulu infiltrer l’Église orthodoxe russe pour la déstabiliser de l’intérieur. Pour cela, on a formé des communistes athées pour qu’ils deviennent clercs, prêtres ou évêques. Ils ont donc appris à célébrer mécaniquement la liturgie et les offices, sans y croire. Pour certains, cette prière machinale, à force d’être répétée, a fait son œuvre : ils ont commencé à croire, se sont convertis et sont devenus des évêques et des prêtres effectifs (et même des martyrs).


Il n’y a dans cette étape rien d’automatique, ce n’est pas un acte magique qui ferait que si l’on récite 10 chapelets en suivant il se passera telle chose (où serait la liberté de Dieu ?). Nous ne sommes pas non plus quittes avec Dieu si nous avons récité notre règle de prières le matin et le soir (où serait le progrès de l’homme, l’évolution spirituelle, la possibilité d’avancer vers Dieu de gloire en gloire ?). Mais cette étape n’est pas inutile : elle a sa force qui lui est donnée par la décision de faire, la régularité de l’effort et la puissance de la parole et des noms divins.


Cette période, cette étape, ce degré de la prière est encore appelé prière « vocale » ou « corporelle ». C’est la prière des lèvres, de la langue et du corps : on lit ou on récite certaines formules, on s’agenouille, on se prosterne.


On peut considérer que la musique liturgique pour l’Église a quelque chose à voir avec cette étape mécanique, dans le sens où l’on peut chanter merveilleusement ou entendre avec délectation les beaux chants orthodoxes sans faire attention aux paroles. Quelqu’un a dit : « Chanter, c’est prier deux fois » ? Ce n’est pas toujours juste, car on peut chanter de beaux hymnes chrétiens sans prier du tout. Maxime Kovalevsky a composé sa musique, comme les vrais auteurs liturgistes, en privilégiant le texte, les paroles par rapport à la musique qui ne doit être qu’un porte-parole. Et pourtant la musique (qui est une mathématique céleste) a son utilité. Un jour on entend un mot, une parole d’un chant qui entre dans l’intelligence ou dans le cœur : l’effet de la « mécanique » du chant a joué. C’est ce que dit saint Pierre Damascène : « L’Église a adopté dans un but louable et agréable à Dieu, des chants et des hymnes en raison de la faiblesse de notre intellect, afin que, nous qui sommes sans connaissance, nous soyons attirés par la douceur de la psalmodie et que nous chantions, pour ainsi dire malgré nous, les louanges de Dieu. Ceux qui peuvent comprendre et pénétrer le sens des mots qu’ils prononcent, entrent dans un état d’humble attendrissement du cœur. Ainsi, comme par une échelle, nous nous élevons vers de saintes pensées. Dans la mesure où nous progressons dans l’habitude de ces pensées divines, un désir divin surgit en nous et il nous fait découvrir ce que signifie l’adoration du Père en esprit et en vérité, selon la Parole du Seigneur. »

On remarque ici que Pierre Damascène dit que nous chantons, malgré nous, les louanges de Dieu. Cette étape « mécanique » se fait sans que

nous en ayons forcément conscience. Et ensuite saint Pierre Damascène nous introduit ici dans les 2 autres étapes : l’étape mentale (comprendre le sens des mots prononcés) et l’étape cordiale (état d’attendrissement du cœur), selon les termes de l’évêque Jean.



2. La période mentale


La 2ème étape, la prière mentale est aussi appelée prière de l’intellect : elle s’accompagne d’un effort de notre mental, de notre intellect pour suivre le sens des mots récités ou prononcés. C’est une concentration sur les mots de la prière en eux-mêmes, et ceci, en évitant deux écueils principaux.


1er écueil : la distraction


Notre mental est parasité par de multitudes de pensées qui vont dans tous les sens. Notre tête est un véritable hall de gare, avec des idées, des images, des représentations, des concepts, des soucis qui courent dans tous les sens. Il est proposé ici d’être attentif aux mots de la prière, de le suivre sans se laisser entraîner par une autre idée qui va nous mener dans une autre direction. Il est en effet fréquent d’entrer dans la prière et, au beau milieu de celle-ci, de penser à la course que l’on doit faire l’après-midi ou de se rappeler d’une personne qu’on a vu la veille. Dans ce cas-là, au moment où l’on s’en aperçoit (parce que quelquefois celui qui est perdu dans ses pensées ne s’aperçoit pas qu’il s’est égaré, qu’il est sorti de sa prière), on peut revenir dans la prière, soit en étant à nouveau attentif aux mots qui ont continué d’être prononcés, soit en recommençant la prière au début.


Pour atténuer la distraction, les Pères recommandent de réciter de façon calme et régulière, et lentement.


Dans certains monastères, on récite les psaumes à toute vitesse, sans respiration, avec quelquefois un argument qui consiste à dire : « Si l’on ne laisse pas de blanc, de respiration, les pensées et les démons ne peuvent pas s’infiltrer. » J’ai l’impression que si les psaumes sont prononcés trop rapidement à l’Église, cela facilite la distraction. Certes, chacun a son rythme, mais nous avons tendance à penser trop vite, à parler trop vite, à courir et il vaut mieux, dans la prière personnelle, ralentir la course des phrases et prendre le temps d’entendre et de comprendre chaque mot.



2ème écueil : l’imagination


Il s’agit ici de cette faculté que nous avons de nous représenter ce à quoi nous pensons en images mentales plus ou moins vivantes selon nos capacités.


Il y a l’imagination débridée, que l’on appelle la « folle du logis » : elle ressemble à la distraction dont nous venons de parler. Il y a aussi l’imagination que notre mental peut contrôler.


Il y a en effet des écoles de prière, surtout en Occident, qui recommandent de faire appel à l’imagination, sous forme de méditation sur un mystère de la vie du Christ, par exemple en se transportant en esprit au Saint-Sépulchre et en revoyant une des scènes de la Résurrection.


Les Pères orientaux sont plus réservés sur ces méthodes.

Le mot imagination en grec se dit ‘fantasia’ et cette fantaisie peut nous conduire sur une fausse route. une sagesse orientale comme le zen enseigne à regarder ou entendre les choses telles qu’elles se présentent sans chercher à les définir par des pensées : une montagne est une montagne, le chant du coq est le chant du coq…Cette sagesse donne un certain équilibre.


« Dans la prière, enseigne Théophane, il ne faut admettre aucune image s’interposant entre l’intellect et le Seigneur. » « L’essentiel est de demeurer en Dieu, ce qui implique avant tout la conviction toujours présente à la conscience que Dieu est en vous, comme il est en toutes choses...Cette certitude que l’œil de Dieu est toujours fixé sur votre être intérieur ne doit jamais être accompagnée d’aucun concept visuel, mais doit se restreindre à une simple conviction ou à un sentiment. »


Pour les Pères orientaux, la règle la plus simple dans la prière est de ne pas se former d’image de quoi que ce soit. L’un d’entre eux a dit : « Celui qui ne voit rien dans la prière, voit Dieu. »


Saint François de Sales, cet évêque d’Annecy du XVIIème siècle, qui était un homme de prières recommandait d’agrémenter sa prière par cette méthode de méditation-imagination. Il la recommandait en tout premier lieu comme l’un des moyens que l’on peut choisir « pour mettre son âme en la présence de Dieu avant l’oraison » : représentez-vous « le Sauveur en son humanité sacrée comme s’Il était près de nous, ainsi que nous avons l’habitude de représenter nos amis ». Et il ajoutait : si vous utilisez ce moyen, cette aide, faites-le « brièvement et simplement.»

Le 2ème écueil est d’éviter de broder avec notre mental ou notre intellect sur les mots et sur les expressions de notre prière et de construire des images ou des situations qui pourraient ne pas être la réalité, mélangeant le réel et l’imaginaire. Si nous utilisons notre imagination, c’est simplement pour avoir conscience de la présence du Dieu invisible auprès de nous.


Le maître-mot de cette deuxième étape de la prière mentale est l’attention qui consiste, selon le mot de saint Jean Climaque, à « garder notre pensée uniquement à ce que nous disons et pensons.» Cette étape nous fait passer de l’extérieur vers l’intérieur, elle nous guide vers le temple du Saint-Ésprit construit en nous. Elle correspond à ce que dit saint Paul : « Dans l’assemblée, je préfère prononcer cinq paroles avec l’intelligence que dix mille paroles en langues [sans comprendre ce qui est dit]. »



3. La période cordiale


Nous sommes ici dans ce que l’on appelle la prière du cœur. Dans sa forme extérieure, il s’agit de la répétition fréquente (voire ininterrompue) d’une courte formule de type : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi.» Le but de la prière est ici de garder le souvenir de Dieu, le plus souvent possible ou comme le disait Monseigneur Jean de « planter la prière mentale dans notre cœur.»


Théophane le Reclus la décrit en disant qu’il convient de « se tenir devant Dieu avec l’intellect dans le cœur » et fréquemment les Pères qui enseignent la prière disent que l’homme ne doit pas prier avec la tête, avec son cerveau, avec les ressources de l’intelligence humaine s’il veut voir Dieu. Avec le cerveau intelligence (une tête bien faite, selon l’expression de Descartes- Montaigne ?) l’homme peut connaître quelque chose au sujet de Dieu. Pour connaître Dieu (et la connaissance est liée avec l’amour), il convient que tout l’être participe, et donc le cœur, le centre de l’être.


Ainsi ces Pères enseignent à celui qui prie de « faire descendre son intellect dans le cœur », de « fixer son attention sur le cœur » en inclinant la tête vers la poitrine (où se situe, selon plusieurs Pères, le cœur spirituel de l’homme).

L’évêque Ignace Briantchaninoff synthétise ceci en disant que la prière du cœur « est récitée par l’intellect uni au cœur, quand l’intelligence descend dans le cœur et prie dans les profondeurs.»


On peut nommer aussi cette prière du cœur la prière contemplative et il y a en elle deux aspects : l’effort humain (on peut parler de contemplation volontaire) et l’action de l’énergie incréée de la Trinité (on peut parler de contemplation en esprit).


La contemplation volontaire est conquise par la capacité de l’homme à aimer Dieu dans son cœur, à se concentrer sur la prière dans la profondeur de son cœur, à « ensevelir en lui le verbe de la prière » (Mgr Jean), à entrer spirituellement dans la chambre intime de son cœur. Son succès dépend de la capacité de l’homme à purifier son cœur, de ses efforts ascétiques, de ses combats contre les pensées et les passions pour maintenir le centre de son être tourné vers Dieu. Et cet effort humain permet à l’homme d’acquérir la béatitude : « Bienheureux les cœurs purs ».


Le deuxième aspect, la contemplation en esprit, est un fruit de la contemplation volontaire. Et ce fruit vient par grâce divine, quand Dieu Lui-même permet à l’homme d’entrer dans cette chambre haute. En réponse à l’amour de l’homme vers Dieu, Dieu ouvre son cœur à l’homme. La prière est pénétrée d’un élément divin qui la sort du cercle des possibilités de la seule volonté humaine, elle coule alors comme une source, sans rupture, elle brûle comme une lampe de sanctuaire qui réchauffe, parfume et illumine l’être. Saint Séraphim de Sarov décrit un état de ce type, que l’on peut aussi nommer « extase » (du grec « être hors de soi ») :


« Quand l’homme est absorbé intérieurement par la contemplation de la lumière éternelle, son intellect est pur et débarrassé de toutes représentations de choses sensibles ; entièrement absorbé par la contemplation de cette ineffable beauté incréée, il oublie tout ce qui a trait aux sens, ne désirant rien voir, ni se voir lui-même ; il souhaite disparaître au fin fond de la terre, pourvu qu’il ne soit pas privé de la vraie nourriture : Dieu.»


Cette contemplation en esprit ouvre la porte à la deuxième partie de la béatitude : « Bienheureux les cœurs purs [effort de l’homme], car ils verront Dieu [grâce de Dieu] »


Et l’on peut remarquer que la première partie de la phrase est au présent (un cœur purifié est bienheureux) et la 2ème est au futur (la vision de Dieu viendra…quand Dieu se montrera).


Ou encore, cela correspond à la phrase de saint Paul : « L’Ésprit Lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables » (Ro 8, 26). Dans la contemplation volontaire, la grâce de Dieu n’est pas absente, elle aide celui qui prie ; dans la contemplation en esprit, la grâce incréée de Dieu fait sentir son action et sa présence d’une manière sensible et palpable.

  • Fêtant ce jour saint Léonide, le père d’Origène, signalons un des plus anciens traités sur la prière écrit par ce père de l’Église. Monseigneur Jean s’en est servi dans son ouvrage « Technique de la prière », et il a notamment fait un commentaire du Notre Père dans lequel il explique le mot grec « épiousios » en donnant la signification « supersubstantiel » (ce qui confirme notre traduction « pain substantiel »).
  • Nous avons fêté hier saint Anastase le Sinaïte (+ 700) qui fut abbé du monastère du Mont-Sinaï, appelé aussi le nouveau Moïse, parce qu’il aurait vu Dieu et conversé avec Lui dans la solitude du Mont-Sinaï, comme le législateur d’Israël. D’autres disent que son nom vient du fait qu’il a guidé de nombreux moines. Il était très habile pour réfuter les hérétiques, notamment il lutta contre les monophysites, qui voient dans le Christ la seule nature divine. Il avait une technique intéressante : il s’attachait à se mettre d’accord avec les hérétiques sur ce qui les réunissait, et il leur faisait même signer des papiers, et ensuite il les amenait petit à petit à voir leurs contradictions. Un jour, il est en face d’évêques monophysites à Alexandrie. Et il écrit sur un billet : « Moi, Anastase, moine de la sainte montagne du Sinaï, confesse que le Verbe de Dieu engendré du Père avant tous les siècles, a été crucifié et enseveli, qu’Il a souffert et qu’Il est ressuscité ». C’était très habile car il ne parlait pas de la chair que le Verbe avait prise, ni de sa descente dans l’humanité, ni de son incarnation, mais seulement de la divinité du Christ. Les évêques disent que c’est très bien. Anastase leur demande de signer aussi avant de continuer la discussion, ce qu’ils font. « Rappelez-vous du moins que le Christ a souffert dans la chair. Il ne peut pas avoir souffert dans sa divinité qui est impassible, le Verbe n’a pas souffert en lui-même. Donc il y a deux natures en Christ, comme l’enseigne la foi orthodoxe ». Les évêques veulent alors récupérer leur papier. Anastase le leur refuse, en leur disant qu’il le leur opposera au jugement universel en présence de Jésus-Christ.

On lui attribue un ouvrage Cent cinquante-quatre questions,  dans lequel il y a quelques maximes sur la prière :


« Quoiqu’on puisse prier et adorer Dieu en tous lieux, quoique le silence et le repos aient leur utilité, le sacrifice extérieur de l’eucharistie est la chose la plus agréable à Dieu.»


« Pour accomplir le précepte de la prière continuelle, il n’est pas nécessaire de s’occuper en tout temps à la prière, il suffit surtout de s’appliquer à quelque chose d’utile, de bon et d’agréable à Dieu ».


Remarques sur ces 3 étapes ou degrés de la prière


- Revenons à notre discours de la dernière fois, sur les trois étapes de la prière. Sœur Yéléna rappelait ce que lui avait dit un père spirituel serbe : « Chacun a son degré de prière. C’est l’Ésprit-Saint qui nous guide intérieurement vers de nouvelles étapes dans la prière. »

 

L’Ésprit-Saint est notre pédagogue dans la relation de notre être avec Dieu. D’où cette 1ère remarque :


  • Ces 3 étapes sont pédagogiques :

La première étape (la prière mécanique) est plutôt l’œuvre du corps, une discipline de notre être corporel.

La deuxième étape (la prière mentale) fait appel à la concentration de notre mental, de notre intelligence.

La troisième étape (la prière cordiale) est un réchauffement du cœur spirituel.


Dans l’homme normal, non touché par le péché, corps, intelligence, cœur sont en union. Chez nous, héritiers du péché, il y a désunion. « La chair en ses désirs s’oppose à l’esprit, et l’esprit à la chair ; entre eux, c’est l’antagonisme ; aussi ne faites-vous pas ce que vous voulez. »


Les parties de notre être ne tirent pas dans le même sens, nous n’avons pas en nous une seule volonté, mais plusieurs volontés. Il convient donc de les réorienter, afin que les parties de notre être marchent ensemble. Il y a chez nous un hiatus entre ce que nous pensons, ce que nous ressentons, ce que nous désirons et ce que nous faisons. Il est difficile de tout rééduquer en même temps : cette rééducation se fait chez nous plutôt successivement, en commençant par ce qui est le plus facile, le plus extérieur et le plus visible (le corps).


En progressant dans la prière, en suivant la pédagogie de la prière indiquée par les Pères spirituels, nous retrouvons cette unité vers laquelle nous tendons toujours, unité décrite par Théophane le Reclus :

« Vous devez prier non seulement avec des mots, mais avec l’intellect ; et pas seulement avec l’intellect, mais avec le cœur, de sorte que l’intellect comprenne et voie clairement ce que les mots signifient et que le cœur sente ce que l’intellect pense. Tout cela ensemble constitue la prière véritable, et si l’un de ces éléments manque, ou bien la prière est imparfaite, ou bien elle n’existe pas. » (Saint

Théophane parle ici de la prière parfaite qui n’existe pas sans la plénitude de notre unité intérieure).


Une interprétation possible de la phrase du Christ : « Là où deux ou trois sont réunis en Mon Nom, Je suis au milieu d’eux » : quand deux ou trois parties de notre être s’efforcent de s’unir dans la prière, dans le Nom du Sauveur, le Christ est présent dans le centre de notre être.


Il y a donc des moments où nous prions machinalement, d’autres moments où nous prions en pensant à ce que nous disons ou pensons, d’autres moments où la prière est dans le cœur et où nous ressentons la présence divine. Il est bien d’observer ce qui se passe en nous pendant notre prière : si nous voyons par exemple que nous n’avons pas la concentration de l’intellect, que notre mental saute du coq à l’âne (ce qui est la difficulté de la 2ème étape), une bonne pédagogie consiste à descendre un barreau de l’échelle et à reprendre la première étape en introduisant des éléments corporels ou physiques (régularité, prononcer à voix forte, prosternations,…).


  • Ces 3 étapes ne sont pas absolues

D’une part, on pourrait trouver d’autres étapes : Théophane le Reclus en donne cinq (il ajoute par exemple la prière incessante de l’intellect dans le cœur qu’il distingue de la prière contemplative de l’extase), saint Paul dit qu’il a été ravi au 3ème ciel (et il y a d’autres cieux).

Monseigneur Jean fait précéder ces étapes par un préalable : la recherche d’une certaine paix, un recueillement face à l’agitation (de la même manière que nous commençons la liturgie en disant : « Soyons en silence ! »)


Ensuite, la frontière n’est pas rigide : ces étapes ne sont pas totalement séparées, des liens les unissent, de la même façon qu’il y a des liens étroits entre notre corps, notre intellect et notre cœur (nos yeux physiques reflètent notre âme, notre oreille extérieure est en lien avec notre entendement et notre intelligence).


Ou encore, elles peuvent être exprimées différemment ou considérées à un autre niveau de l’échelle, par exemple comme cette pensée de saint Jean Climaque :

« Le commencement de la prière consiste à repousser par une seule parole les pensées au moment même où elles se présentent. L’état intermédiaire consiste à maintenir notre pensée dans ce que nous disons ou pensons. Et sa perfection, c’est le ravissement dans le Seigneur »


  • Ces 3 étapes manifestent une poussée de l’Ésprit-Saint qui conduit l’homme vers la connaissance de Dieu et de lui-même.

En proposant à l’homme de gravir cette échelle, l’Ésprit-Saint pousse l’homme à progresser vers une plus grande connaissance (de Dieu, de l’homme, de soi et du monde). La connaissance intellectuelle n’est pas un moyen pour arriver à Dieu mais au contraire elle est la conséquence de l’effusion, de la progression de l’Ésprit-Saint dans nos cœurs. L’Ésprit-Saint nous fait connaître et approfondir cette connaissance de Dieu, qui réside en nous. Comme dit saint Cyrille d’Alexandrie : « Si, par malheur, nous avions été privés de la participation de l’Ésprit Saint, nous n’aurions jamais appris que Dieu est en nous. »

 

1. Étape vocale, corporelle

L’homme est à l’extérieur de lui-même, loin de Dieu, vers le monde. L’homme cherche à s’arracher du monde, il est en chemin vers Dieu.

2. Étape mentale

L’homme avance vers l’intérieur de lui-même, vers « soi ». Il cherche à se placer devant Dieu.

3. Étape contemplation volontaire

L’homme est à l’intérieur de lui-même, il est tourné vers Dieu.


4. Étape contemplation en esprit L’homme est hors de lui-même (extase) ou au-dessus de

lui-même. Il est en Dieu.


On voit ainsi que, par ces degrés de la prière, par cette échelle, l’homme prend de la hauteur pour mieux connaître Dieu, mieux se connaître, mieux connaître le monde. Et dans la dernière étape, la connaissance va de perfection en perfection : l’homme voit Dieu (il est en Lui) et il se voit parfaitement (il est en quelque sorte juge de lui-même, il se discerne avec l’éclairage divin, il se voit comme par en-dessus et il voit la création).