*/

La révélation

PLACE DE LA RÉVÉLATION DANS NOTRE VIE QUOTIDIENNE


Conférence de Monseigneur Germain - dimanche 10 octobre 2010



Nous sommes les disciples du Christ, n’est-ce pas ! Or nous avons une difficulté immense à nous alimenter de son enseignement, à accepter que la révélation soit quelque chose qui nous alimente. Dans notre existence, lorsqu’il s’agit de recevoir et d’appliquer cet enseignement, nous nous apercevons que ce sont bien d’autres éléments qui nous dominent.


Les personnes, les sociétés, les civilisations qui ne veulent que réfléchir ou sentir n’ont pas de révélation et les sociétés qui n’ont pas de révélation sont décadentes. C’est un grand sujet dont l’Écriture Sainte et la tradition témoignent.


Le prophète Michée dit : « à cause des faux prophètes, vous aurez la nuit. Vous n’aurez pour révélation que les ténèbres et plus d’oracles. Le soleil se couchera sur ces prophètes. Le jour s’obscurcira sur eux » (Mi 3, 5-6).


Quand on n’a plus cette « chose » qui vient, qui choque, qui heurte l’existence - et même l’existence quotidienne - on entre dans la décadence. Notre époque vit ainsi. Nous possédons la technique, la science… mais n’ayant pas ce type de révélation dont je souhaite vous entretenir, on ressent comme une nuit, une ombre qui s’appesantit sur la vie publique, sur la vie personnelle, sur la vie de l’Église.


Tout d’abord : peut-on assimiler la révélation à l’intuition ? Probablement non. Souvent, dans le contexte qui est le nôtre, par intuition ou révélation, on entend une chose nouvelle, que l’on n’a pas éprouvée auparavant ; pourtant, il y a une grande différence entre les deux notions. Nous n’avons pas de termes très précis pour cerner ce phénomène et on peut employer d’autres termes, par exemple manifestation, vision, révélation, dévoilement… Il ne faut pas rester prisonnier des mots ; aucun mot n’est absolu.


Approche de la révélation par ses effets


Appréhendons la révélation non par des définitions, mais en décrivant ce qu’elle produit. La révélation frappe, et bien qu’inattendue elle paraît évidente. Qu’avez-vous éprouvé quand vous avez rencontré, par exemple, la foi chrétienne, l’Église, ou même quelque chose de plus simple… une émotion devant la nature, un poème, une personne ? La révélation convertit - je ne veux pas dire spécialement au christianisme - elle peut convertir à la beauté, à une œuvre, à la vie intérieure, à une idéologie. Ainsi, Karl Marx a eu une révélation qui l’a converti : celle de la misère de la situation ouvrière en France, en Angleterre, en Allemagne au XIXe siècle. C’était un choc : tout à coup, il a vu. Après est venue la réflexion et il a forgé une philosophie et inventé la lutte des classes.


La révélation ne produit pas une évolution mais une mutation. Elle découvre, elle fait changer ; quelque chose d’inconnu devient tout à coup connu. Ceci est vrai pour tout le monde et peut être expérimenté dans tous les domaines. C’est une touche intérieure expérimentale et on en reçoit tout à coup les bons effets.


Au sein de l’action liturgique, par le verbe, par la vue, par les gestes, par les odeurs ou par l’atmosphère, n’avez-vous jamais éprouvé que, de temps en temps, quelque chose s’ouvre, et de manière totalement impromptue ? C’est comme un rideau qui s’ouvre et on se dit : « Tiens, je suis entré dans le mystère - ou plutôt, le mystère est entré en moi. »


Une autre caractéristique de la révélation est qu’elle est rare, et, une fois venue, elle peut servir très longtemps de base à l’existence. Ce qui veut dire qu’elle a un caractère d’autorité : elle devient une autorité.


Le terme n’est pas spécifique de la religion mais il est spécifique de l’être humain. La révélation est co-naturelle à notre être entier.

Quand nous disons que les Écritures sont basées sur la révélation, c’est une erreur car les Écritures sont l’évidence. Mais il est vrai qu’elles nous apparaissent telles par révélation. Avant d’être écrite et d’être lue, l’Écriture Sainte représente l’humanité ; c’est notre histoire, l’histoire de toute l’humanité inscrite en nous, de génération en génération. La révélation éclaire l’Écriture, elle l’illumine. On peut faire un rapprochement avec la liturgie : au cœur de la liturgie, tout d’un coup, s’ouvrent des lucarnes, des lumières et, alors, on « voit à l’intérieur ».


Aucun domaine humain n’ignore la révélation ; rien ne lui échappe, rien ne lui est étranger. On la trouve aussi bien dans les domaines économiques, politiques ou scientifiques, que dans la sociologie, la psychologie, le monde spirituel ou l’art. L’évêque Jean disait que la révélation est « pan-humaine ». Elle concerne toute l’humanité, toutes les civilisations, toutes les cultures.


Lorsque la révélation se présente, il y a choc, puissance, renouvellement. Tout ce qui est neuf dans l’humanité procède, à sa base, de la révélation ou d’une révélation. Mais derrière toute découverte, il y a toujours des sujets. Il y a, par exemple, les esprits, les anges, les démons, les énergies. L’apôtre Paul les appelle les archontes. Ces sujets sont des êtres vivants.


Nous connaissons le monde, nous en faisons partie. Le monde visible est presque vide alors que le monde invisible est invisible justement parce qu’il est presque plein. C’est un des grands mystères de l’univers. Un ami juif talmudiste m’a conté cette histoire : Moïse est monté au Sinaï où il a reçu les Tables de la Loi. En redescendant, il a retrouvé tout le peuple qui adorait le veau d’or et il a brisé les Tables. Dans la tradition talmudique on dit qu’il a bien fait car les Tables étaient illisibles. Pourquoi ? Parce qu’elles étaient pleines. C’est le langage divin, mais les hommes ne sont pas capables d’accéder au langage divin de manière spontanée et immédiate. Alors Moïse est remonté et il est redescendu avec de nouvelles Tables qui, elles, étaient lisibles. Les Dix commandements y étaient inscrits. Il y avait, à l’intérieur, des vides, des lumières. Les vides, les blancs permettaient de voir les pleins.


Revenons à cette notion que, derrière la révélation, il y a quelqu’un, il y a des êtres, des vivants. C’est-à-dire qu’il y a un « je » personnel, une volonté qui dévoile une ou plusieurs pensées qui, à une certaine époque, deviennent essentielles pour l’humanité.

Combien font 2 et 2 ? Un jour, un Juif rencontre un Grec et lui pose la question.

-         4, répond le Grec.

-         Je savais bien que tu allais me répondre cela, dit le Juif.

-Parce que chez vous ce n’est pas la même chose ?

-         Non, répond le Juif, chez nous c’est : ‘ Dieu dit : 2 et 2 soyez 4.’


Derrière les nombres, les anges sont présents. 2 et 2 font 4 parce qu’il y a un vivant, un « je », une volonté, un ange qui tient la loi. Dans notre monde, on délivre des prix Nobel à certains chercheurs. Alors les pays s’affrontent car telle ou telle découverte récompensée avait été aussi faite ailleurs à la même époque, à des milliers de kilomètres de distance. Que s’est-il passé ? Les anges ont ouvert un sceau parce que l’humanité était devenue apte à l’ouverture de ce sceau. Non que les anges décident de ce que font les hommes. Les hommes décident de s’engager dans certaines voies et les anges ouvrent des sceaux en fonction de ces choix.

Quand Dieu se révèlera - le Christ a dit : « Je reviendrai » - ce sera de la même manière, mais le sujet sera autre que ‘ 2  + 2 = 4 ’.

Il faut dépouiller la révélation de son prestige inexact ou déformé. Il faut la purifier de son air faux et prendre la révélation comme autorité.


Derrière la révélation, il y a toujours le secret et le mystère. Secret et mystère ne sont pas lointains, ils sont transcendants et simultanément présents. Il faut faire une sorte de saut pour, de là où l’on se trouve, entrer dans cette transcendance. L’évêque Jean disait : « Dieu est transcendant par nature et immanent par action. » Il en est de même de la révélation.



Approche de la révélation selon la Bible


Il est nécessaire de prendre la révélation au sens biblique. Que trouve-t-on dans la Bible ?

« Les choses cachées sont au Seigneur, notre Dieu. Les choses révélées sont à nous et à nos enfants à perpétuité afin que nous mettions en pratique toutes les paroles  de cette loi. » (Dt 29, 28).


Autrement dit, les secrets se révèlent progressivement en tant que Dieu le veut. Il nous arrive souvent de considérer Dieu comme notre propriété, or nous ne Le connaissons qu’en tant qu’Il se révèle. Il y a le rideau du temple, il y a les portes royales de nos Églises. N’êtes-vous pas sensibles au fait que ces dernières s’ouvrent et se ferment ? Il y a les choses révélées et les choses cachées. Il existe un rythme entre ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas. Une chose se dévoile, alors une autre se referme. Et la liturgie a ces rythmes-là : ouverture, fermeture, ouverture, fermeture…


En Occident, au XIIIe siècle, s’est dévoilé le primat de la raison : l’homme a tout expliqué par sa raison. Alors s’est fermée l’expérience de Dieu. Dieu est « parti », car la raison n’a pu prouver son existence.


 « Le Seigneur appela de nouveau Samuel. Samuel se leva, alla vers élie et lui dit : ‘ Me voici, car tu m’as appelé ’. élie lui répondit : ‘ Je ne t’ai pas appelé, mon fils. Retourne te coucher ’. Samuel ne connaissait pas encore le Seigneur et la parole du Seigneur ne lui avait pas encore été révélée. » (Is 3, 4-7).


Ici, la révélation est la voix personnelle de Dieu.


 « Celui qui répand la calomnie révèle les secrets. Mais celui qui a l’esprit fidèle les garde. » (Pr 11, 13).


Le mot révélation est employé dans un sens humain, dans un sens négatif : un faux ami révèle les secrets qu’on lui a confiés. C’est une erreur de tout révéler.


 « C’est Lui, le Seigneur, qui révèle les pensées les plus profondes et les mystères du monde. » (Dn 2, 22).


Dieu révèle ; et cela est très consolant ! Il ne demeure pas lointain et inconnu. Nous ne nous adressons pas suffisamment à Dieu comme source de la révélation. Faites comme Jacob, luttez avec Dieu pour qu’Il se révèle. Nous disons vouloir être dirigés par Dieu mais nous ne nous plaçons pas en situation de recevoir sa révélation.


 « Le Seigneur ne fait rien sans avoir révélé son secret à ses serviteurs, les prophètes. » (Am 3, 7).


Amos parle de synergie, c’est-à-dire des rapports entre Dieu et l’homme. Dieu ne nous prend pas en traître. Je tiens à souligner que nous devrions scruter les pensées divines pour le monde. Nous n’avons aucune excuse car Dieu révèle. Mais, dans ce domaine, évitons deux écueils. Le premier, ce sont les fausses apocalypses (vous savez que d’aucuns prévoient la fin du monde pour 2012 car le calendrier maya s’arrête à cette date ! Voilà une fausse apocalypse). Le deuxième, c’est d’ignorer que le Christ a dit : « Vous êtes mes amis. » Le Christ a dit tout ce qu’Il allait faire, Il a révélé tout ce dont l’homme avait besoin et le chrétien doit connaître l’histoire du salut.


 « à Celui qui peut vous affermir selon l’évangile et la prédication de Jésus-Christ, conformément à la révélation du mystère caché pendant les siècles et manifesté maintenant par les écrits des prophètes et par l’ordre du Seigneur, porté à la connaissance de toutes les nations en vue de l’obéissance de la foi, à Dieu, la gloire par Jésus-Christ, aux siècles des  siècles. »
(Ro 16, 25-27).


La révélation est une puissance que révèle saint Paul dans sa prédication. Elle n’est pas une révélation humaine, mais celle qui est demeurée cachée dans les siècles. Elle est posée avant même le chaos initial. C’est la révélation pré-primordiale, pré-chaotique que Dieu dévoile : Dieu dévoile son plan.


Au premier chapitre de la Genèse, nous lisons que « L’Ésprit de Dieu planait sur les eaux. » (Gn 1, 2) L’ami talmudiste dont je vous parlais tout à l’heure disait qu’il faudrait employer le terme « couvait ». Avant même la création, l’Ésprit couvait les eaux. Que sont ces eaux ? Le désir.


Tout désir, qu’il soit physique, psychique ou spirituel, a un caractère humide. Saint Grégoire de Nazianze dit que ces eaux sont le désir d’être.

Avant même qu’elle n’apparaisse,  Dieu dit à la création: « Si tu le désires, Je te crée. »

C’est la révélation cachée dont parle l’apôtre Paul : Dieu a un plan qu’Il dévoile à sa création et Il fait d’elle son partenaire avant même qu’elle ne soit. C’est stupéfiant.


 « Ce dont nous parlons, c’est d’une sagesse de Dieu mystérieuse, tenue cachée. Celle que, dès avant les siècles, Dieu a d’avance destiné pour notre gloire. Celle qu’aucun des chefs de ce monde n’a connue ; s’ils l’avaient connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de Gloire. Et, selon ce qui est écrit, nous annonçons ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille de l’homme n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui L’aiment. Car c’est à nous que Dieu l’a révélé par l’Ésprit. L’Ésprit, en effet, scrute tout jusqu’aux profondeurs de Dieu. » (I Co 2, 7-10).


Cette révélation est l’abnégation divine, l’abnégation du Seigneur de Gloire. Nous ne pouvons appréhender cette révélation que par l’Ésprit qui pénètre tout, même les profondeurs de Dieu. Paul dit, en fait, que la révélation essentielle est l’Incarnation du Verbe.



Approche de la révélation par l’humilité


Pour que s’ouvre à nous la révélation et les révélations, il est indispensable de devenir humble.


L’humilité permet de devenir apte à appréhender les révélations. « Dieu révèle aux humbles sa voie. Celui qui est humble d’esprit obtient la gloire » (Ps 25, 9) ; « L’humilité précède la gloire » (Pr 15, 33). Et la gloire signifie la présence divine.


Dans sa recherche d’humilité, l’homme rencontre une difficulté. Que trouve-t-on dans l’esprit de l’homme ? La rapidité du complexe temps/espace. À notre époque, on parle de  galaxies, d’années-lumière à la puissance x qui les séparent. Distance inimaginable qui devrait nous effrayer. Eh bien non ! Notre esprit dépasse cela à toute vitesse ; il est d’une rapidité prodigieuse dans ce domaine. En même temps, il est capable de résumer une question. Le double caractère de l’esprit de l’homme - rapide et condensateur - fait de lui l’être le plus dynamique de la création. Plus dynamique même que les anges. Mais cet esprit puissant est malheureusement peu ou pas employé. Nous réagissons plus que nous ne pensons.


De ce fait, pour l’intelligence humaine, l’illimité est le plus facile à aborder tandis que la limite, les limites, représentent un apprentissage long et difficile. C’est pour cela que l’être humain absolutise toujours afin d’étendre ou de repousser les limites. Nous nous emparons d’un sujet et nous l’« illimitons ». C’est ce que font les hérétiques. Notre intellect est de nature absolue et, pour lui, la limitation est presque impossible. C’est pour cela qu’il est si difficile d’être humble.


Il y a deux formes d’humilité, deux aspects. Premièrement, l’écrasement devant l’immensité : fausse humilité ; deuxièmement, la conscience de l’immuable absolu quand on se place face à Dieu. Dans la vraie humilité, on est dépassé, infiniment dépassé. Nous sommes chrétiens parce que nous sommes complètement dépassés.


Comme notre esprit est de nature absolue - par rapport au corps et à l’âme -, il est alors clair que nous, les êtres humains, sommes éternité, mais Dieu est au-delà. Lui, Il est Dieu, et nous, nous sommes des dieux. Notre nature que j’appellerais « spiritualo-divine » ne peut pas  actuellement être vraiment pure. On ne peut parler d’humilité vraie qu’en face de Dieu. Dieu dépasse notre absolu et dépasse aussi notre impureté. De temps en temps, quand nous découvrons notre impureté, notre péché, nous en faisons un sujet de contemplation.
Plaçons-nous devant la face de Dieu et laissons de côté le péché qui nous déforme, car, pour Dieu, le péché n’a guère d’importance. Seul Dieu est pur et mérite la contemplation.


D’où l’homme, qui est aussi poussière, doit avoir cette attitude qui consiste à tendre à l’émerveillement parce que la matière et le cosmos tout entier sont faibles, tandis que notre esprit est grand. En tant que chair nous ne sommes rien ; en tant qu’esprit, nous sommes grands. C’est l’esprit qui est capable de porter le corps. Et l’humilité, finalement, est une caractéristique de notre esprit devant Dieu. Notre absolu se limite devant l’immuabilité plus qu’absolue de Dieu. Alors, Dieu, à son tour, se limite, s’ouvre et se révèle. C’est ce qui est arrivé avec l’Incarnation du Verbe : Dieu s’est limité.



La révélation au sens universel


Concluons, bizarrement peut-être, sur la révélation au sens universel.

LA révélation est délicate, difficile pour l’homme. LES révélations sont faciles et nous éblouissent. Notre science théologique est extrêmement faible, presque inexistante. à mon avis, cette faiblesse est le péché de l’Église. Une théologie qui ouvrirait l’illimité au limité, à des êtres limités, est une chose urgente. Curieusement cette théologie a perdu la face par rapport aux sciences limitées. Et les sciences limitées illimitent ce qui est limité, elles occupent tout l’espace ou elles relativisent.


On a perdu du temps à étudier ce que Dieu a créé, mais pas Dieu Lui-même. On a oublié que l’on ne s’arrange pas avec la vérité mais que le monde doit aller vers la vérité.


Une société, une Église ou un homme qui n’ont pas de révélation sont décadents : ils entrent dans le processus de la réflexion, du scientisme, du « scientifisme », du philosophique et alors arrive la ténèbre, l’ombre, comme révélation.


La révélation a une caractéristique, elle dévoile ; mais si quelque chose se dévoile, autre chose se voile. Si vous avez la révélation que Dieu est vivant, le reste du monde perd son intérêt. Si vous avez la révélation que le monde est beau, Dieu sera en retrait.


Rien n’est caché, même les profondeurs de Dieu que l’Ésprit-Saint scrute. Nous sommes, justement,
ensemble dans l’Église pour recevoir Dieu qui se révèle et ensuite essayer de distribuer ce que l’on a reçu.